Françoise Gilot
Reportage
Mise à jour le 11/06/2025

Sommaire
C’était une artiste talentueuse et une femme déterminée. Son œuvre, traversée par la recherche de la couleur, a rencontré un grand succès aux États-Unis, où elle vivait depuis 1970. Françoise Gilot est décédée à New York le 6 juin 2023. Une rue lui est dédiée dans le 18e, non loin de son atelier d'artiste de l'avenue Junot.
Dans sa vie, Françoise Gilot savait ce qu’elle voulait et ce
qu’elle voulait, c’était surtout de ne pas dépendre d’un homme.
Elle était farouchement indépendante. En bref, une femme moderne.
amie de françoise gilot, essayiste et commiSsaire d'exposition
Elle en a payé le prix fort après avoir mis fin à sa
relation avec Pablo Picasso en 1953
et publié en 1964 Vivre avec Picasso. Tôlée en France, où le milieu artistique d’alors l’efface des
radars.
Aujourd’hui encore, dans l’hexagone, Françoise Gilot est
souvent présentée comme « la femme
qui dit non ». C’est incontestablement une facette de sa personnalité.
Mais elle n’était pas une femme de l’ombre. Bien au contraire. Quelle femme
lumineuse elle était. Quelle œuvre immense elle nous laisse. Quel parcours,
quelle vie !
Nous lui rendons hommage, dans le 18e, tout
près de son ancien atelier de l'avenue Junot, en lui dédiant une rue en son
honneur.
Dans les pas de Françoise Gilot
Une pièce blanche, épurée, baignée de lumière. Des œuvres en
cours sur des grands chevalets, quelques unes achevées accrochées aux murs, des
dizaines d’autres stockées ici et là, soigneusement rangées.
Cet atelier de l'avenue Junot, dans le 18e, Françoise
Gilot l’avait acquis à la fin des années 80. « C’était un endroit
ascétique, très spartiate. Peu de meubles, un buffet, un canapé. Elle avait
besoin de vide pour travailler » se souvient Annie Maïllis, qui y a discuté des dizaines et des dizaines d’heures
avec l’artiste à partir des années 90.
Elle y venait quelques mois par an, puis les dernières années elle n’y venait plus mais elle refusait de vendre l’atelier car elle avait besoin de ce rattachement à Paris qu’elle aimait tant.
Car la vie de la peintre était à New York, où elle s’est installée
à la fin des années 70.
Rétrospective.
Les femmes à la conquête de l'espace public
La
rédaction vous propose de découvrir ou redécouvrir les parcours de femmes qui
donnent désormais leur nom à des lieux de l’espace public du 18e
arrondissement sur sa page Place aux femmes !
Une palette de couleurs à 6 ans
Françoise Gilot est la fille unique d’un homme d’affaire
issu de la grande bourgeoisie de Neuilly-sur-Seine qui la voyait faire du
droit. Elle préféra l’art, plus particulièrement la peinture, qu’elle avait
découvert toute petite grâce à sa mère, elle-même aquarelliste. « Elle l’a
initiée très jeune au dessin. C’est elle qui a engagé un professeur particulier
pour la faire progresser. C’est elle aussi qui, quand Françoise avait 6 ans,
lui offre sa toute première palette de couleurs », détaille Annie Maïllis.
Françoise se froisse avec son père, qui n’accepte pas
qu’elle abandonne ses études pour l’art. Tant pis. Elle donne des cours
d’équitation au bois de Boulogne pour gagner sa vie et continue de peindre en
parallèle.
Elle rencontre Pablo Picasso pendant la guerre, en 1943.
Elle a 21 ans, il en a 61 ans. Elle, elle peint, elle se passionne,
elle apprend. Elle a tant soif de découvrir le monde. Elle tient à son
indépendance et à ne pas à lui
céder. Picasso s’obstine. En 1946, elle accepte de vivre avec lui et ils
s’installent dans le sud de la France. Ils ont deux enfants, Claude (1947) et
Paloma (1949).
Mais Françoise ne veut pas devenir un objet du génie, juste « la femme fleur ». Il la surnomme « la femme qui dit non ». Elle le quitte en
1953.
Credit
Erwan Floc'h / Mairie du 18e
Credit
Erwan Floc'h / Mairie du 18e
Une vie américaine
Tout le monde s’interroge : qui est celle qui ose
rompre avec Picasso ? Lui-même n’y
croit pas, sûr qu’elle lui
reviendra. Elle ne peut pas lui échapper ; personne ne le peut. Françoise Gilot épouse le peintre Luc Simon, puis donne naissance à Aurélia en 1956.
Si un jour, l’histoire est racontée, ce sera par moi et personne d’autre
De ces années avec Pablo Picasso, d’abord, elle ne parle pas. Ni dans les médias, ni
dans ses conversations. Rien. Elle s’était promis la chose suivante : « si
un jour, l’histoire est racontée, ce sera par moi et personne d’autre ». Elle attend 10 ans que tout
s’apaise, assez longtemps mais pas après la mort de Picasso pour lui laisser
un droit de réponse à son livre publié en 1964, Vivre avec Picasso.
Le livre est un énorme scandale. « Ce fut un épisode horrible et douloureux pour elle. C’est
l’entourage de Picasso qui l’a incité à intenter procès pour interdire la
publication en France, il y avait une telle rancœur de la part de ce
petit milieu qui protégeait Pablo », explique Annie Maïllis.
Si bien qu’ensuite, Françoise ne revient que rarement à
Paris. « Elle n’en avait pas de bons souvenirs. Et puis ce n’était pas une personne dans le ressentiment.
Elle allait seulement de l’avant », décrit son amie.
La couleur et l’intelligence
Il en faut de la force et du courage pour regarder droit
devant. Ces collectionneurs étaient en majorité américains et à partir de 1961 elle commence à passer de plus en plus de temps aux États-Unis où elle décède le 6 juin
2023. Elle revenait de temps à autre en France, dans son atelier à Paris, et
quelques fois dans le Sud de la France, entre Nîmes, Arles et Saint-Rémy-de-Provence, qu’elle
adorait.
Sa peinture, tout en étant assez cérébrale, célébrait la vie. »
Son histoire est digne d’une série. Ses choix la
caractérisent profondément, mais au fond, quel genre de femme était-elle ? Du genre à savoir ce qu’elle
voulait, apparemment ! « Elle avait un côté rude, sans concession,
direct, âpre. Franche. C’était une intellectuelle, quelqu’un de très rationnel.
Elle avait la tête bien construite, organisée, carrée en même temps qu’elle possédait une grande sensibilité artistique, témoigne Annie
Maïllis. Sa peinture, tout en étant assez
cérébrale, célébrait la vie. »
L’œuvre de Françoise Gilot en quelques mots
Françoise Gilot était absorbée par la recherche formelle des couleurs
et des formes. La couleur était une quête intérieure qu’elle explorait sans
relâche. Elle produisait une peinture
parfois métaphysique. Elle travaillait sur l’errance, la liberté, les oiseaux…
Une œuvre à l’image de cette femme : monumentale, haute en couleurs, libre.
Une œuvre à l’image de cette femme : monumentale, haute en couleurs, libre.
Annie Maïllis
se souvient d’elle comme «
extraordinairement vivante. Elle aimait rire. C’est la seule personne âgée que
je connais capable
d’éclater de rire. Humainement elle se tenait très droite, c’était une belle personne, elle ne
s’abaissait jamais, sans mesquinerie.. Elle était très attachée
à ses enfants et n’a jamais voulu dépendre d’un homme, elle était farouchement indépendante, en bref une femme
moderne. »
C’est la seule personne âgée que je connais capable d’éclater de rire.
Le 18e lui rend hommage
Qu’une rue porte
son nom dans le 18e inaugurée en ce mois de
juin 2025, tout à côté de son ancien atelier et deux ans après son décès, est
un honneur que nous lui devons bien. C’est un premier pas vers la
reconnaissance de la peintre qu’elle était, ici, à Paris, non pas comme une
muse, non pas comme « femme de » et pas non plus comme « femme
qui dit non » mais comme une artiste à part entière qui ne cessa de défendre
ses valeurs pour trouver sa propre voix. Elle laisse derrière elle une œuvre
monumentale.
N’entendez-vous pas son rire qui
résonne aujourd’hui dans le 18e ? Ne voyez-vous pas les
couleurs qui l’animaient ? Ne sentez-vous pas la force de caractère de
cette grande dame traverser les rues de Montmartre ? Nous pouvons
imaginer, oui, et surtout, remettre Françoise Gilot dans la lumière.

Credit
Erwan Floc'h / Mairie du 18e
Annie Maïllis est docteur et agrégée de Littérature. Elle est aussi amie de Françoise Gilot, essayiste et commissaire d'exposition. Elle a notamment publié Pablo Picasso, Françoise Gilot : la Méditerranée réenchantée (Odyssées, 2018) et écrit le scénario du film de Sylvie Blum Françoise Gilot et Pablo Picasso (Arte,2021).