Eva Kotchever

Reportage

Mise à jour le 12/09/2024

Une école, une crèche et une rue portent son nom dans le 18e. Eva Kotchever, aussi comme Eve Addams, née Chawa Złoczower, est une grande figure de la lutte lesbienne et une resistance juive polonaise. Son parcours est raconté par Livia Parnes, historienne, spécialiste du judaïsme et du marranisme portugais et guide-conférencière.
De la Pologne aux États-Unis : de Chawa à Eve
Chawa [Hava] Złoczower est née en 1891, à Mława, petite ville à l’est de Varsovie, alors sous l’empire tsariste. Issue d’une famille juive qui brisait avec la tradition et s’ouvrait à la Haskalah (les Lumières juives), elle est envoyée à l’école, fait rare pour les filles juives de l’époque. Adolescente, elle maîtrise déjà le polonais, le russe, le yiddish, le français et peut également parler l’hébreu, l’allemand et l’anglais… A 21 ans, elle décide d’émigrer aux États-Unis, où elle rencontre Emma Goldman et se lie rapidement avec d’autres écrivains et intellectuels socialistes, communistes et anarchistes. En 1919, à Chicago, avec sa compagne, une peintre impressionniste, elle ouvre un premier établissement progressiste, non sans penser à américaniser son nom ; les clients doivent aisément prononcer le nom de la patronne. Pour son prénom, le choix d’Ève pour Chawa s’impose. Quant à son nom de famille, il y a sans doute plus de psychologie et un clin d’œil androgyne car voilà que cette femme avant-gardiste devient à la fois Ève et Adam. Elle s’appelle désormais Eve (ou Evelyn) Adams.
Le chemin sinueux des noms étrangers
Les noms étrangers sont parfois difficiles à prononcer, les polonais en particulier. Ils sont notamment difficiles pour l’administration. En effet, dans les documents d’archives américains on trouve une ribambelle d’appellations dont Zloczower, Zloczewer, Zlotchever, Zlochover… et peut-être même Kotchever (le ‘z’ et le ‘l’ unissant, ressemblent davantage à un k). En tout cas, c’est en tant qu’« Eva Kotchever » qu’elle est mentionnée pour la première fois dans le livre magistral de l’historien américain George Chauncey, Gay New York : 1890-1940, paru en 1994. La traduction française, parue en 2003, reprend naturellement cette appellation, et ainsi de suite : ‘Eva Kotchever’ figure dans Wikipédia, se trouve sur internet et aujourd’hui, grâce à la mairie de Paris, sur les plaques d’une rue, d’une crèche et d’une école parisiennes.
Une lesbienne à New York – grandeurs et misères
Deux ans plus tard, elle retourne à New York et s’installe dans le Greenwich Village, où en 1925 elle ouvre Eve's Hangout, aussi connu sous le nom d’Eve Addams’ Tearoom, un salon-café-bar littéraire, situé au cœur de la bohème intellectuelle new yorkaise, gaie et lesbienne (129 MacDougal Street). Eve y organise des concerts, de lectures, des rencontres où on discute de politique, d’idées libérales, de l’amour entre femmes ; l’établissement devient rapidement un point de rencontre des femmes, en particulier des lesbiennes, mais aussi des artistes, des intellectuels, des migrants juifs et des classes populaires.
La même année, Eve publie un recueil de nouvelles intitulé Lesbian Love. Inspiré de son vécu aux États-Unis et de différentes rencontres qu’elle avait faites, le livre contient 4 illustrations considérées osées (des femmes nues). Il est imprimé à 150 exemplaires à usage privé.

En 1925, Eve publie un recueil de nouvelles intitulé Lesbian Love

Mais Eve Addams’ Tearoom aura une vie trop courte. En juin 1926, il fait l’objet d’une descente de police. L’établissement est fermé, Eva arrêtée. Reconnue coupable de « mœurs indécentes » causant des troubles à l’ordre public, et d’avoir publié un « livre indécent », elle est condamnée à 18 mois de prison. En décembre 1927, une fois purgée sa peine, elle est expulsée (le document anglais indique « déportée) vers la Pologne. Dans certains journaux américains on s’en réjouit : « une Ève moderne chassée du Paradis ».
Les années parisiennes : une bohème à Montparnasse
Si nous avons peu d’information sur les deux ans qu’elle passe à nouveau en Pologne, nous savons qu’elle manque affreusement d’argent, vit de petits boulots – gouvernante, serveuse, traductions – et surtout souffre cruellement de l’antisémitisme : « dans le monde entier [je suis] une étrangère, et dans le pays où je suis née – une juive ».
On ne sait pas non plus comment et quand exactement, mais au début des années 1930 Chawa/Eva arrive à Paris, où elle retrouve Emma Goldman, rencontre Henry Miller et fréquente la bohème de Montparnasse. En réalité, à Paris, elle vit principalement du colportage de livres censurés à l’époque (Ulysse, Tropique du cancer…). Néanmoins, un journal de ragot new-yorkais la présente comme « la reine du 3e sexe », qui, « réfugiée à Paris, dirige un “Boudoir de l’Amour” à Montmartre »…

Au début des années 1930 Eva arrive à Paris, où elle retrouve Emma Goldman, rencontre Henry Miller et fréquente la bohème de Montparnasse

C’est à Paris qu’elle se lie d’amour avec une autre immigrée juive de Pologne, Hella Olstein (née Hinda Broucha à Łodz, 1905) qui, arrivée dans les années 1930, devient chanteuse de cabaret sous le nom d’artiste de Norah Waren. « Le destin a voulu qu’on se retrouve », écrit Eva en 1934.
Sous l’Occupation : fuite et déportation
Le lendemain de l’entrée des Allemands à Paris en juin 1940, toutes les deux – étrangères et juives – fuient la ville et finissent par se réfugier à Nice, située d’abord en zone libre puis, dès novembre 1942, sous occupation italienne. Mais peu après que la zone tombe sous occupation allemande (septembre 1943), toutes deux sont arrêtées, et transférées à Drancy. Eva entre au camp le 7 décembre ; Hella le 14. Le 17 décembre 1943, par le convoi 63, elles sont toutes deux déportées à Auschwitz et assassinées dès leur arrivée.
Livia Parnes historienne, spécialiste du judaïsme et du marranisme portugais et guide-conférencière. A travaillé au service des activités culturelles du Mémorial de la Shoah. Elle collabore régulièrement avec les éditions Chandeigne chez qui elle a publié et pour lesquelles elle a conçue en 2020 une exposition sur la diaspora juive portugaise.