Alice Milliat ou le féminisme sportif
Reportage
Mise à jour le 23/01/2025
Attention, cet article n'a pas été mis à jour depuis le 23/01/2025, il est possible que son contenu soit obsolète.
![adidas arena](https://cdn.paris.fr/paris/2025/01/22/huge-f08a978381d44c9408418b4a4a533d13.jpg)
Elle habille l’entrée de l’adidas arena : l'esplanade Alice Milliat rend hommage à cette pionnière du « féminisme sportif », qui a organisé les premiers Jeux olympiques féminins à Paris en 1922.
Il en aura fallu, du temps, pour que les femmes accèdent aux
grandes compétitions sportives sans qu’un sourcil ne soit levé. Et parmi celles
qui ont permis de lancer le combat et de le faire avancer, il y a Alice Milliat
(1884-1957), largement oubliée (un choix, selon certains historiens) mais
revenue sur les devants de la scène et notamment dans le 18e en donnant son nom
au parvis situé devant l’adidas arena.
Le sport, moteur d’émancipation de la femme
Avant de s’engager pour la place des femmes dans le sport,
et plus largement pour l’émancipation des femmes par le sport, Alice Milliat
l’a elle-même pratiqué de façon assidue. Principale activité : l’aviron,
qu’elle aurait découvert en Angleterre, alors qu’elle s’y était installée sans
connaître la langue, dès ses 18 ans. La Nantaise y a alors épousé Joseph
Milliat, Ligérien lui-aussi, décédé quatre années plus tard. À 24 ans, veuve et
de retour à Paris, elle intègre le Fémina Sport, seul club
sportif féminin de la capitale, situé dans le 12e arrondissement. Et au combat de
commencer.
Elle en devient la présidente en 1915 et voit déjà plus
loin. « À l’époque, les filles n’avaient pas droit au sport, elles avaient
accès à l’éducation physique », précise Sophie Danger, qui a étudié Alice
Milliat dans le cadre de l’écriture de son livre Alice Milliat, la femme
Olympique. Faire du sport, c’était en quelque sorte aller à l’encontre du
schéma traditionnel « avoir un mari, rester à la maison, faire des enfants
et ne pas travailler. Le sport, c’est la compétition, c’est se montrer, c’est
l’autonomie. Je crois qu’elle avait compris ça et en a fait un combat
d’émancipation ».
Jeux olympiques : et pourquoi pas les femmes ?
La présidente du Fémina Sport appelle, interpelle, les clubs
français ouverts aux femmes pour mieux s’armer. Réunis, ils composent la Fédération
des Sociétés Féminines Sportives de France (FSFSF), et avancent de concert pour
faire reconnaître le sport féminin comme l’égal du masculin. Ainsi largement
supportée, plus forte parce que bien accompagnée, Alice Milliat en est plus
convaincue encore : les femmes, à l’instar des hommes, devraient avoir le
droit de participer aux Jeux Olympiques. Au premier intéressé, Pierre de
Coubertin, père des JO modernes et fondateur du Comité international olympique
(CIO), d’entendre la revendication d’une oreille et de la rejeter. Pour lui,
les femmes n’ont rien à faire dans les événements sportifs, si ce n’est pour
couronner les vainqueurs.
![Passage flamme Paris18 - Arena](https://cdn.paris.fr/paris/2024/07/16/original-b94c4fab7ae1a40b77bf0c942036809a.jpg)
Credit
Maxime Le Pihif
De quoi remonter Alice Milliat, femme de pouvoir et de
poigne, plus prompte aux « qu’à cela ne tienne » qu’à l’abandon.
C’est ainsi les clubs de toutes parts et surtout de tous pays (Etats-Unis et
Angleterre en tête) qu’elle convoque pour mieux donner du coffre à la voix de
son féminisme sportif. « Dans les pays anglo-saxons, on n’a pas le même
rapport au corps. Chez nous, on a toujours valorisé l’éducation intellectuelle
au détriment de l’éducation physique. Dans ces pays, les deux fonctionnent de
pair. Les filles pratiquaient le sport à l’école bien avant nous, par exemple. »,
explique Sophie Danger. Ainsi supportée par des alliés de taille, Alice Milliat
crée la Fédération Féminine Sportive Internationale (FFSI), et, sous ce nouveau
drapeau, retoque à la porte de Pierre de Coubertin. Rien n’y fait. Qu’à cela ne
tienne bis : ils ne veulent pas inclure les femmes dans leurs Jeux
Olympiques, il y aura les Jeux Olympiques des femmes.
Des Jeux mondiaux féminins à l’oubli
En 1922, la FSFI organise
ses premiers Jeux olympiques féminins
(Alice Milliat a renoncé plus tard à l’adjectif « olympiques » sous la
pression de la Fédération internationale d’athlétisme) à Paris. Un succès,
qu’elle réitérera trois fois (1926 en Suède, 1930 à Prague, 1934 à Londres)
mais qui s’arrêtera de façon nette et silencieuse. En effet devant la vogue de
la compétition féminine, l’ouverture de certaines épreuves des Jeux aux femmes
est proposée au FSFI, qui l’accepte. Un joli pas en avant, mais seulement a
priori, puisque derrière cette inclusion pourrait bien se cacher la volonté
d’y voir un échec pour mieux clore le sujet. C’est en tout cas ce qu’Alice
Milliat pense, et l’histoire lui donnera raison. Ainsi, après avoir autorisé
les femmes à participer à certaines épreuves des JO d’Amsterdam en 1928
(100 mètres, 4 fois 100 mètres, 800 mètres, saut en
hauteur), les têtes pensantes des compétitions internationales font trois pas
en arrière en 1932 en limitant les épreuves féminines. Si les dernières forces
d’Alice lui permettent d’organiser les derniers Jeux féminins en 1934, la FSFI,
faute de soutien et de subventions, finit par être avalée par le CIO.
C’est la marque des grands, de faire quelque chose d’incroyable et de ne pas le dire
« A force de se battre sans succès pour que les femmes
aient la possibilité de participer à TOUTES les épreuves d’athlétisme, Alice Milliat
s’épuise. Elle a beaucoup de soucis de santé et se retire. Malgré tout, bien
qu’elle le nie, elle a réussi son coup puisqu’à partir de la fin des années 30,
tous les ans la question de la femme est débattue en comité olympique. »,
raconte Sophie Danger. Alice Milliat, elle, aurait continué sa vie dans l’ombre
de ses propres actions. L’un de ses biographes, l’historien André Drevon,
aurait d’ailleurs rencontré l’une de ses proches voisines, qui après l’avoir
cotoyée pendant des années n’avait jamais eu vent du combat et du passé de la
militante. Plus encore, son nom et son prénom n’apparaissent sur sa sépulture
nantaise que depuis 2020.
Disparaître pour mieux revenir
« Je ne sais pas si elle avait envie de laisser une
trace, explique Sophie Danger. Il y a un contraste dans ce personnage, tout cet
égo qui l’habite, tout le chemin parcouru et son silence ensuite. Peut-être
qu’elle a eu ce qu’elle a voulu, qu’elle nous a donné ce pourquoi elle s’est
battue, et qu’elle s’est dit que c’était terminé et qu’il était temps de
s’effacer de l’histoire. C’est la marque des grands, de faire quelque chose
d’incroyable et de ne pas le dire ». Il n’empêche qu’aujourd’hui, Alice
Milliat a pignon sur rue, sur cette esplanade de l’adidas arena qui lui rend
enfin hommage.
Avec elle, à l’intérieur de l’infrastructure, Aimée-Marie
Éléonore Lallement, militante associative, socialiste et féministe, championne
du monde dans les épreuves du 110 m et du lancer du javelot et Alice Marie
Coachman, athlète américaine, première afro-américaine à remporter une
médaille d'or olympique en saut en hauteur aux Jeux de Londres en 1948 ont
donné leurs noms à deux gymnases. Aux femmes de reprendre leurs droits, dans
l’espace public et dans l’histoire.