Ayyem Zamen, à la rencontre des Chibanis et des Chibanias

Reportage

Mise à jour le 26/06/2025

Photo Chibanis
L’association Ayyem zamen (« au bon vieux temps » en arabe) est Implantée depuis 2008 en plein cœur de la Goutte d’Or. C’est au Café social Dejean, géré par l’association que se rendent des habitué.e.s de longue date, notamment celles et ceux issu.e.s de l’immigration des années 60,70,80, qu’on appelle les Chibanis et les Chibanias (ancien/ancienne en arabe). Ce vendredi 27 juin, une place dans le 18e sera officiellement dénommée pour leur rendre hommage. Quelle est leur histoire ? Voici quelques portraits.
Fouzia est en France depuis 45 ans. Jeune divorcée, elle arrive d’Oran dans les années 80. Elle vient visiter sa mère comme touriste à Paris et n’en repartira pas.
"Même si c’était dur au début à mon arrivée sous Giscard, j’ai tout de suite aimé Paris. » Fouzia rencontrera ensuite son compagnon, un patron de bar-restaurant, à la Goutte d’Or. Ensemble, ils auront un garçon. « Mon fils est chauffeur de bus à la RATP, c’est son anniversaire aujourd’hui ! il a 34 ans !".
Photo chibania

Ayyem Zamen, c'est toute ma vie !

Fouzia
"Ayyem Zamen, c’est toute ma vie, depuis que j’ai poussé par hasard la porte de ce café avec une amie, il y a plus de 10 ans, je viens tous les jours !"
Implantée depuis 2008 rue Dejean, dans le 18e, l’association, grâce à ses permanents, a à cœur d’offrir un espace de convivialité à ses adhérents, et cela tout au long de l’année, du lundi au vendredi.
Accès aux droits, à la retraite, logements partagés, c’est aussi un réel soutien administratif et social qu’ils fournissent à un public parfois isolé et ne connaissant pas forcément ce à quoi ils ont le droit après avoir généralement travaillé toute une vie loin de leur pays.

Les débuts dans les foyers

C’est le cas d’Amar, Malien d’origine, qui habite un logement partagé de l’association depuis 2014. Mais avant cela, Amar a d’abord habité un foyer pour travailleurs migrants à Montreuil, et cela pendant plus de 5 ans, à partir de son arrivée en 1976 "J’en garde un bon souvenir, on était six par chambre, trois lits superposés, on était entre Maliens, comme au pays. En bas, il y avait une cuisine. C’était une belle période.".
Car les Chibanis c’est en parti cela. Ce sont d’abord des personnes venues en France pour travailler à partir de la deuxième moitié du 20e siècle, et habitant pour certains d’entre eux dans des foyers dédiés. Amar travaillait comme boucher, à Vincennes, avant de se reconvertir dans l'électricité et la plomberie à la suite d'un accident du travail.
Photo chibani
Le 18e rend hommage aux Chibanis et aux Chibanias
Le vendredi 27 juin 2025 suite à une délibération en Conseil de Paris, une place a été officiellement dénommée en leur honneur, à l’angle des rues de Chartres et de la Goutte d’Or, dans le 18e, comme un cri de mémoire pour des personnes trop souvent invisibilisées. Ce sont elles qui ont pourtant permis à la France de se reconstruire après la seconde guerre mondiale et de palier à un manque de main d'œuvre certain dans divers secteurs. Aujourd'hui, cette dénomination participe à la reconnaissance de leur travail pour leur pays.
Inauguration place des Chibanis

Une vie entre deux pays

Avant que sa femme ne le rejoigne au début des années 1990, Amar vécut seul, loin de sa famille et de son pays natal, multipliant plusieurs fois par an les allers-retours entre la France et le Mali.
Cette situation n’est d’ailleurs pas propre à Amar puisqu’elle constitue une caractéristique assez commune des Chibanis. Il peut alors en découler un sentiment d’appartenance partagée entre deux pays, sans pour autant se sentir pleinement intégré dans l’un ou l’autre, et ce, malgré une vie active et un travail exercé en France. Et c’est aussi sur ce plan que l’association agit, en palliant ce phénomène.
"Lorsque ma femme est arrivée, en 1991, nous avons emménagé ensemble dans un appartement que détenait mon frère près de l'Hôtel de Ville, avec nos trois enfants, puis deux sont partis vivre au Canada."
Après son divorce et alors qu'il était à la retraite, Amar a finalement pu bénéficier d'une place en logement partagé, un dispositif de l'association depuis 2014. "Nous avons eu des années heureuses à Paris, puis nous avons fini par divorcer dans les années 2000. J'ai une petite retraite et l'association m'a aidé pour trouver un logement partagé. Aujourd'hui je vis avec deux autres colocataires, ça se passe plutôt bien."
Photo Chibania

Une vie de travail

Mohammed, arrivé d'Algérie dans les années 70, a préféré le confort d'une petite chambre d'hôtel. " Je travaillais dur, dans la couture, je pouvais me permettre une chambre à 300 francs par mois, avec un coin cuisine et le ménage tous les jours. L'hôtel était d'ailleurs dans l'immeuble où on se trouve. Ici c'était le comptoir de la réception."
D'ateliers en ateliers, à force de travail acharné, il gravite les échelons et termine par encadrer des équipes. "Jamais je n'ai été au chômage, pas une seule fois, je ne connais pas !".
Mohammed fera sa vie en France, avec sa femme rencontrée en Algérie et ses quatre enfants. Jusqu'à la mort de ses parents, il continuera de s'y rendre plusieurs fois par an dans son village natal. C'est seulement dans les années 2000 qu'il demande la nationalité française. Depuis, Mohammed ne manque pas une élection "Je suis toujours allé voter, c’est notre devoir de citoyen”. Une façon aussi de se faire entendre.
Photo Chibanis