"Collection collège" : l'art contemporain pour tous

Reportage

Mise à jour le 30/01/2025

ado fonds d'art contemporain
Avec le programme « Collection Collège », le Fonds d’art contemporain – Paris Collections permet aux élèves de différents collèges de la capitale de défendre des œuvres d’art en vue de leur acquisition. Les élèves de l’établissement Marx Dormoy, dans le 18e, font partie de l’aventure.
Ici tout est haut, tout est blanc, tout est calme… Ou presque. Ce jour-là dans les couloirs immaculés des réserves du Fonds d’art contemporain (Paris 18), des voix se font entendre. Celles des élèves du collège Marx Dormoy, qui ont la chance de visiter le confidentiel habitat des œuvres du Fonds. Cette chance, nous l’avons eue aussi, lorsqu’il s’est agit de les suivre dans le cadre du projet Collection Collège (anciennement Jeunes Collectionneurs). Initié en septembre 2020, ce programme a pour ambition de sensibiliser les adolescents à l’art contemporain, mais pas que. Plus que de simples spectateurs et apprenants, les élèves appelés à intégrer le dispositif en sont également les acteurs : à l’issue des deux années scolaires sur lesquelles le programme est dispensé, ces derniers ont l'importante tâche de défendre leurs œuvres préférées devant une commission d’acquisition. À la clé pour les adolescents : la fierté de voir leurs œuvres préférées choisies et la possibilité, une fois les œuvres acquises par le FAC, de les emprunter pendant 6 semaines.

Année 1 : une immersion dans le monde de l’art contemporain

Mais avant de donner leur chance aux artistes élus, les élèves participant au programme Jeunes Collectionneurs doivent se sensibiliser au monde dans lequel ils mettent les pieds et les yeux. Parce que si la compréhension de l’art, contemporain ou non, est à la portée de tous, son accès l’est moins. Accompagnateur clé du programme au sein du collège Marx Dormoy, Julien Cartereau, professeur d’arts plastiques, souligne l’importance de telles initiatives auprès des jeunes : « Dans certains collèges, ce genre de programme est moins utile parce que l’accès à la culture est déjà existant. Par contre, dans un collège où les profils des enfants sont beaucoup plus divers, ça prend vraiment son sens. C’est peut-être la première fois qu’ils poussent les portes d’une galerie, la seule fois de leur vie qu’ils assistent à une foire d’art contemporain ou visitent un atelier d’artiste. Il y a un enjeu très fort ! ». Et si le professeur n’est pas certain que tous ses élèves en prennent la mesure ou que le programme engage des vocations d’artistes, « il s’agit au moins de semer des quelques graines ».
Des graines que le Fonds d’art contemporain et les professeurs du collège Marx Dormoy (entre autres établissements) s’appliquent ainsi à faire pousser durant la première année du programme, avec des visites et des rencontres, mais également des séances d’apprentissage en classe. Flore Chetcuti, en charge du programme au Fonds, en a mené plus d’une. Et plus que d’histoire de l’art, « on y discute, entre autres, de ce que signifie être artiste aujourd’hui, des rouages du milieu, du prix des œuvres aussi ». Un élément qui fait beaucoup réagir les collégiens, confrontés à un marché jusqu’alors loin, très loin de leur univers.

Année 2 : devenir des acteurs du marché

Et pourtant. En intégrant le programme Collection Collège, les élèves deviennent eux aussi partie intégrante du marché en question. En effet, durant la seconde année du programme (pendant leur année de troisième), ceux-là doivent se mettre dans la peau de collectionneurs, voire d’acheteurs. Ainsi, une fois l’art contemporain plus familier pour les collégiens, place à la désignation des œuvres dont les élèves pensent qu’elles devraient intégrer la collection de la Ville de paris. Évidemment, Flore Chetcuti et les équipes du Fonds d’art contemporain commencent par présélectionner une vingtaine de productions dans diverses galeries d’art. Les élèves sont ensuite amenés à aller les voir sur place, voire à discuter avec les artistes eux-mêmes. Tel a notamment été le cas avec Alexia Chevrollier, qui a pu défendre elle-même son œuvre présélectionnée auprès des collégiens. « Ça n’était pas obligatoire, mais donnant une grande transparence à la transmission, ça me paraissait important de parler de mon œuvre ». De l’expliquer aussi. S’agissant d’une production abstraite (un monochrome de rouille jouant sur la matière), la toile a alors pris tout son sens une fois racontée par l’artiste, et pour sa plus grande fierté, a été choisie par les collégiens pour être défendue en commission.

[Les élèves] ont aimé mon œuvre avec leurs propres codes. Il y a une vérité qui me plaît, leurs retours sont toujours très justes.

Alexia Chevrollier
Artiste
Elles sont une dizaine à avoir été élues par les élèves. Ces derniers, divisés en groupes de 3 ou 4, ont ensuite creusé et décortiqué les œuvres d’art qui leur ont été attribuées pour mieux en peindre leur plaidoyer. Un travail de plusieurs mois, porté par Flore Chetcuti, leur professeur d’arts plastiques Julien Cartereau, mais également leur professeur de français, rédaction oblige. Puis vient l’angoissant moment de la présentation orale devant un jury composé de membres de l’équipe du Fonds d’art contemporain, d’une personne de l’éducation nationale et de deux personnalités de l’art. Telle une épreuve du bac qu’ils passeront dans quelques années, les collégiens doivent alors se montrer incollables sur l’oeuvre et l’artiste qu’ils défendent, et être capables de répondre aux questions adressées par la commission. Au bout de ce passionnant tunnel pédagogique et artistique, une récompense pour les adolescents comme pour les artistes choisis : l’achat par le Fonds d’art contemporain – Paris Collections de plusieurs des productions défendues, dans le budget imparti pour le projet. En 2024, six artistes ont intégré le prestigieux fonds, à hauteur de 4000 euros.

Artothèque : l’accès à l’art pour tous

« Ils ne s’en rendent pas peut-être pas vraiment compte, mais c’est une énorme chance qu’ils m’ont donnée. Grâce à eux, je rentre dans un des plus gros fonds d’art contemporain de France, c’est assez prestigieux et une concrétisation dans ma carrière artistique. », s’émeut Alexia Chevrollier. Mais plus que le prestige du nom, c’est la manière, qui la touche le plus. « Ces adolescents ont choisi ma toile sans calcul. Ce sont des personnes qui ne sont pas encore vraiment conditionnées socialement, intimement. Ils ont aimé mon œuvre avec leurs propres codes. Il y a une vérité qui me plaît, leurs retours sont toujours très justes ». En interrogeant les adultes entourant le programme, un critère de sélection est néanmoins récurrent chez les élèves : les questions politiques et sociétales et les messages engagés. « Plus qu’à des œuvres qui font référence à l’histoire de l’art, ces jeunes s’intéressent à des œuvres qu’ils peuvent raccrocher à des thématiques qu’ils connaissent, comme l’égalité ou l’écologie. Ce ne sont néanmoins pas forcément des œuvres figuratives, et tous les médiums les interpellent », affirme Flore Chetcuti.
Une oeuvre à la mairie du 18e
À la mairie du 18e aussi, l'art contemporain s'expose ! Acquise par le Fonds d'art contemporain - Paris Collections en 2019, l'oeuvre "Paris Paris Paris" de l'artiste Babi Badalov rend hommage à la Capitale.
Et à côté de la chance donnée aux artistes, les collégiens donnent également leur chance à leurs camarades de découvrir ces productions qui les ont touchés ou interrogés. Au collège Marx Dormoy en effet, les six œuvres achetées par le Fonds d’art contemporain de la Ville de Paris sous l’impulsion des élèves de troisième de l’année 2024 ont pris place dans le CDI de l’établissement à la rentrée. Et pour aller encore plus loin, le programme Collection Collège permet aux familles de les emprunter pour une durée de six semaines. Un concept d’artothèque qui fait des timides côté emprunteurs, mais qui pourrait faire des adeptes au fil des années. « Les parents s’autocensurent encore, parce que certains ont de petits logements, que d’autres ont peur d’abimer les œuvres. Mais on essaye d’encourager les élèves », explique Julien Cartereau. Alexia Chevrollier, elle, voit en cette possibilité d’emprunt un excellent moyen de « démystifier » l’art : « Je ne suis pas artiste pour être considérée comme quelqu’un d’extraordinaire. Je n’aime pas du tout la figure du démiurge qui a un don. Savoir que mon œuvre va pouvoir circuler de logement en logement, c’est génial ». Et d’ajouter, sur le programme Collection collège qu’elle chérit tant : « Ce genre d’initiative peut, à son échelle, permettre de diminuer les inégalités. Ça peut aussi ouvrir à des enfants, futurs adultes, la possibilité de se projeter dans une carrière d’artiste. Moi je ne suis pas Parisienne, je viens de la campagne et j’ai juste eu la chance de rencontrer quelqu’un qui m’a parlé un jour des Beaux-Arts. Peut-être que ça peut éveiller la même chose chez eux ! ».
Comme l’a dit le professeur d’arts plastiques des collégiens de l’établissement Marx Dormoy, Julien Cartereau : « Les graines se sèment, et même si sur le moment il ne pousse pas forcément quelque chose, elles restent dans un petit coin de la tête ! ».