De Lutèce à Paris… Le Pôle archéologique au service de l’histoire
Reportage
Mise à jour le 18/02/2025

Installées dans le 18e depuis 2021, les collections du Pôle archéologique de la Ville de Paris regroupent aujourd’hui plus de 100 000 « enregistrements ». Céramiques intactes, ossements, morceaux d’aqueducs et autres sarcophages… Nous avons eu la chance de faire un saut dans l’histoire en visitant ces réserves.
En entrant dans l’immeuble, rien ne prédit ce qui se cache en
dessous. Hier implantées à Bercy, les collections
archéologiques ont fait voyager ses vestiges jusque dans le 18e, qui
chouchoute désormais tout le « mobilier » découvert à Paris depuis
les années 50. Comme pour ne pas dépayser les trésors qui y sont conservés,
c’est sous terre que le fonds a caché ses réserves. Bien accompagnés de nos
guides, Céline Berthenet, médiatrice du patrimoine, et Juliette Zemmer, volontaire en Service Civique,
nous en avons exploré les tréfonds pour mieux en comprendre les
missions.
Mission numéro 1 : fouiller
« Il y a vraiment encore des choses à découvrir dans la
capitale ? ». Le « oui » est fervent et sûr. Et aussi
surprenant que cela puisse paraître, les monuments historiques et autres lieux
célèbres de la capitale ne sont pas en reste, la Vieille Dame en exemple.
« Si le parvis de Notre-Dame de Paris possède une crypte archéologique
très documentée, une partie du secteur n’a pas encore été fouillé. C’est
exceptionnel, on sait qu’on va trouver des choses en grande quantité ! »,
s’enthousiasme Céline Berthenet. Même destin pour le Palais de Justice, qui a
été miraculeusement épargné sous Haussmann
et dont les profondeurs, bien que déjà en partie fouillées, cacheraient encore
des choses inédites.
L’équipe peut ainsi passer des heures, brosse à dents à la main, à nettoyer le mobilier
Médiatrice du patrimoine
Mais qui décide d’aller déterrer ces trésors ? « Le
Pôle archéologique de la Ville de Paris, qui fait partie du Département
d’Histoire de l’Architecture et d’Archéologie de la Ville de Paris, est d’abord
un opérateur en archéologie préventive », explique la médiatrice. Plus
simplement, cela implique pour les équipes de réaliser de petites fouilles sur
les parcelles envisagées pour des projets d’aménagements, pour mieux éviter de
détruire ce qui pourrait se cacher en dessous. Ainsi, si le diagnostic révèle
que les fondations méritent d’être explorées, elles seront fouillées,
et le projet urbain révisé ou mis en pause. Mais tout ça ne nous dit pas ce que
le Pôle archéologique fait du mobilier trouvé sous nos pieds.
Pour nous l’expliquer, nos deux guides nous conduisent dans
une première pièce. Au centre, un établi recouvert de sacs plastiques remplis
de morceaux d’objets - dont on ne saura jamais ce qu’ils étaient - et de poussière
rouge épaisse. À droite, des étagères en métal cachent de mini trésors :
des ossements de toutes formes, d’abord, visibles vestiges de petits animaux ayant
vécu il y a bien longtemps. Des morceaux de céramique ensuite, et, plus
surprenant, des coquillages. Où l’on apprend alors que le sous-sol de Lutèce
(l’ancienne Paris) en sont remplis, conséquence d’une prédilection gustative
des Romains pour les huîtres et autres fruits de mer. En l’occurrence,
celles-ci ont été trouvées sous la cour du lycée Henri IV.
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Erwan Floc'h
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Mission numéro 2 : analyser
Dans un autre coin de la pièce, un large évier s’est fait un
trou. L’objectif de la salle se dessine : ici, les objets trouvés sont
lavés avant d’entrer dans la deuxième phase des missions du Pôle archéologique :
les études et analyses des trouvailles. « L’équipe peut ainsi passer des
heures, brosse à dents à la main, à nettoyer le mobilier », raconte Céline
Berthenet. Et ce pour la bonne cause, puisqu’ensuite, place à l’examen. Chaque
petit détail compte. « On pense que les archéologues s’intéressent avant
tout aux beaux objets, à ceux qu’on voit dans les musées, mais le moindre
indice ou élément susceptible de fournir de l’information est collecté pour
ensuite être étudié. Par exemple, les arêtes de poisson nous indiquent qu’il y
avait sans doute de la pêche, du commerce, des habitudes alimentaires qui ont
évolué », explique la médiatrice. Évidemment, pour étudier tout cela, des
experts sont appelées à la rescousse. Archéozoologue, céramologue,
anthropologue, archéogéographe, spécialiste du pollen et des graines, expert en
tabletterie (objets fabriqués en matières dures naturelles d’origine animale),
médiéviste, antiquisant… Il en faut, des connaissances, pour scruter ce qui
sort de terre. Ce qu’il manque à l’équipe : un préhistorien. « Mais à
Paris, c’est rare de tomber sur des objets de cette époque », précise
Céline Berthenet. Objets qu’on imagine enfouis loin, très loin, puisque
« l’archéologie fonctionne comme un mille-feuille de couches de terre. On
est obligé de détruire celles du dessus pour accéder à celles du
dessous. »
Parmi les découvertes en phase d’analyse dans la deuxième
pièce où nous mènent nos guides : la plaque d’une duchesse/dame de
compagnie de Catherine de Médicis issue d’un sarcophage en plomb trouvé dans le
Marais, une lampe à huile et un mortier gallo-romains en parfait état, un
pichet glaçuré médiéval, ou encore un cœur en plomb, enfermé dans une boîte.
Pourquoi n’avons-nous pas la chance de le voir hors de son coffre ? Parce
que le plomb est toxique, mais aussi parce que le joli cœur en métal renferme
un autre cœur, humain cette fois-ci, dont les effluves se font encore la malle
malgré son grand âge… une fois passés au crible, ces divers objets se verront
attribuer une sorte de carte d’identité avant d’intégrer une grande base de
données. Et à la troisième mission du Pôle archéologique de se dévoiler.
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Erwan Floc'h
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Mission numéro 3 : conserver
Ce qui nous amène au clou du spectacle : en appui des
données numérisées, 800 m2 d’espace de
conservation, dont nous avons pu explorer une partie. Dans la salle que nous
parcourons sont conservés tous les matériaux les moins fragiles, à savoir la
pierre, la céramique ou encore les restes osseux. Deux autres salles, dites
« réserves sèches et humides », renferment quant à elles les éléments
métalliques et en verre pour la première et organiques (cuir, bois, textile,
etc.) pour la seconde. Tant pis pour eux, nous n’aurons d’yeux que pour les
restes de sarcophages, les morceaux d’aqueducs, vestiges mérovingiens, vases et
autres fragments de céramique. Montrée avec fierté, une stèle funéraire
chrétienne du Ve siècle, la plus ancienne jamais sortie de terre.
Cette dernière a été découverte dans une des plus grandes nécropoles de Lutèce
(près de 2000 tombes), située autour de Saint-Marcel. La localisation n’est pas
étonnante, puisque c’est bien dans le quartier latin et ses alentours que se
concentrait la ville, avant de se replier sur l’Île de la Cité.
Dans la même pièce, une grande allée cache des trésors que
d’aucuns qualifieraient de morbides : les restes humains. Du mobilier comme les
autres, à l’instar de nouveaux éléments dont on ne soupçonnait pas qu’on les
trouverait ici : des graines. Ces dernières permettent notamment d’étudier
les éléments végétaux, pour, par exemple, reconstituer des paysages. Plus
bucolique.
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Stèle funéraire
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Mission numéro 4 : montrer et valoriser
Après quelques échanges portant sur les fouilles impossibles
du lit de la Seine (dont les objets trouvés sont essentiellement issus des
dragages), la visite prend fin. Du monde d’hier nous passons à celui
d’aujourd’hui, dans lequel il est question de communication et de valorisation.
Une mission tient à cœur aux équipes : rendre tous ces trésors et
l’univers de l’archéologie et de l’histoire accessible au public.
Parmi les idées actuellement mises en œuvre par le Pôle
archéologique, il y a les ateliers de médiation organisés auprès des enfants,
et plus particulièrement ceux du 18e. Céline Berthenet s’est ainsi
déjà déplacée dans plusieurs centres de loisirs de l’arrondissement pour mieux montrer
aux enfants ce que font les archéologues de la Ville de Paris. Reconstitutions
d’objets en céramique, découverte de l’anthropologie avec la création de
squelettes en papier… Indiana Jones n’a qu’à bien se tenir, la relève est
assurée !
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Juliette Zemmer et Céline Berthenet
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