Cimetière de Montmartre : un site bicentenaire plus vivant que jamais

Reportage

Mise à jour le 30/04/2025

cimetière montmartre
En 2025, le cimetière de Montmartre fêtera son bicentenaire. Deux cents années d’histoire(s) et de vie(s), qui ont permis à ce site phare du 18e d’obtenir son classement parmi les sites de la Ville de Paris. C’est qu’il y en a, des choses à préserver dans le cimetière surplombé par le pont Caulaincourt. Nous l’avons constaté nous-mêmes au cours d’une visite passionnément guidée par Pascal Cassandro, Conservateur du cimetière et Arnaud Schoonheere, Chef de la cellule patrimoine au Service des cimetières de la Ville de Paris.
« Par décret en date du 29 avril 2024, est classé parmi les sites de la Ville de Paris, dans le 18e arrondissement, le site du cimetière nord dit de Montmartre ». Grâce à ces quelques mots tirés du Journal Officiel du 2 mai 2024, le cimetière ouvert sur l’Avenue Rachel et sur la rue Ganneron bénéficie désormais officiellement d’une protection toute particulière. Un soutien national qui arrive un peu plus de dix ans après sa demande officielle, et qui permet ainsi de « préserver de toute atteinte grave (destruction, altération, banalisation) » ce lieu de l’arrondissement, en ce qu’il présente « un intérêt général aux motifs scientifique, pittoresque, artistique, historique ou légendaire » (Loi du 2 mai 1930). De ces critères généraux tirés de la loi du 2 mai 1930, ce sont les aspects historiques et pittoresques qui ont principalement servi d’appui au classement du cimetière où reposent notamment Louise Weber et Dalida.
Deux aspects racontés avec enthousiasme par Pascal Cassandro et Arnaud Schoonheere, lesquels nous ont fait voyager à travers les sépultures, les chapelles, la végétation et l’histoire, durant une visite ponctuée de bon nombre d’anecdotes. Parce que comme nous l’a confié le Conservateur : « Ce dont je vais me souvenir à la fin, c’est des gens, des inhumations, qui choses qui m’ont touché, fait rire, des choses improbables. Il se passe des choses improbables tous les jours ou presque ! ».

Un cimetière historique

Si on le connaît plus communément sous le nom « Cimetière de Montmartre », ce lieu de plus de 11 hectares, traversé par le pont Caulaincourt, porte d’abord l’appellation de sa situation géographique : Cimetière du Nord. Un Nord aujourd’hui plus chaleureux qu’hier, puisque c’est sur des carrières de gypse que les premières tombes se sont élevées en 1798. De courte vie car saturé dès 1811, il a dormi durant 14 ans avant de devenir le cimetière que l’on connaît aujourd’hui, ou du moins son squelette.
Aujourd’hui, le lieu classé abrite près de 21 800 sépultures, dont quelques-unes qui datent encore du « Champ du repos » de 1798. Grâce au classement, ces vestiges de l’ancien cimetière pourraient bien ne jamais disparaître. Certains d’entre eux constituent en effet des témoignages historiques, architecturaux, ou en tout cas remarquables d’une époque révolue qui mérite qu’on se souvienne d’elle. Pour les sépultures d’avant-hier ou d’hier qui persistent et ne manifestent pas d’intérêt patrimonial particulier, « l’état manifeste d’abandon » (état qui parle de lui-même et qui implique, après recherches non fructueuse d’ayant-droit, la libération de la concession) est le seul moyen pour ceux qui rêvent d’un sommeil montmartrois d’y trouver abri. Et les places se font rares. Mais parce que les cimetières sont aussi faits pour les vivants, il y a bien des choses à découvrir dans celui du Nord, dit de Montmartre.

Préserver pour ceux qui restent

Chaque année, 350 000 visiteurs déambulent dans les allées du site funéraire. Parmi eux, environ 75% sont des touristes, des gens se déplaçant spécialement pour venir admirer les richesses du lieu. À côté de ces promeneurs éphémères, deux autres types d’usagers viennent fouler les allées. Les habitants du quartier, qui y viennent « lire, tricoter, se balader » ou juste le traverser grâce aux deux ouvertures situées Avenue Rachel et rue Ganneron, et les visiteurs les plus importants, les personnes en recueillement. « Aujourd’hui, le cimetière est considéré par certains comme un parc. Il peut en effet être utilisé comme tel, mais la fonction première du cimetière est le funéraire. Chacun doit donc penser aux contraintes afférentes à ce type de lieu », tient à rappeler Pascal Cassandro. Ainsi, c’est dans le calme qu’il appelle à, tout de même, venir admirer ce qu’il s’attèle à conserver.
Les chapelles Potocka et Fournier
La chapelle Fournier se distingue, outre par la qualité de son décor et sa monumentalité, par ses enfeus. Contrairement aux plus fréquentes sépultures impliquant d’enfouir les défunts sous la terre, ici, les caveaux se dressent au-dessus du sol.

Côté chapelle Potocka, son style néo-gothique et sa polychromie (choisie par l’architecte Hittorff – enterré à côté de son œuvre –, en ce qu’il était convaincu que l’architecture médiévale et antique était colorée. À raison, nous expliquera Arnaud Schoonheere.)
Il y a des sépultures, d’abord, qui méritent que les yeux s’y posent. Tel est le cas – entre bien d’autres – des deux chapelles du cimetière sont protégées au titre des Monuments historiques (soit une protection plus forte que le classement du site en lui-même !), la chapelle Fournier (inscrite depuis 2013) et la chapelle Potocka (classée depuis 2014). Mais il n’y a pas qu’elles, qui sont dignes d’admiration. Il y a un arbre dit « remarquable » pour « son ampleur et son empreinte dans le paysage » ; la sépulture du dessinateur Siné, qui sous couvert d’une forme cactus, nous honore d’un doigt hostile ; celle d’Emile Zola, qui déménagera quatre années après son inhumation pour entrer au Panthéon transformant sa sépulture en cénotaphe ; les chapelles cinéraires, qui, sans modifier le patrimoine du site, ouvrent la place aux urnes ; la chapelle Delamare-Bichsel, son granit rose et son architecture Art Nouveau, adorée des uns mais pas forcément des autres… Mais peu importe le goût de chacun, désormais classé, le cimetière s’entretient plus que jamais.

Deux cents ans de vie

En tout, une cinquantaine d’agents travaillent dans les quatre cimetières du 18e (Batignolles, Saint-Vincent, Calvaire). Le personnel administratif gère les dossiers des opérations funéraires, les agents d’accueil et de surveillance veillent à l’aspect réglementaire, les cantonniers entretiennent les espaces au quotidien, et enfin, les fossoyeurs procèdent aux reprises administratives et à la remise en état des cheminements. Et puis il y a les autres, les conservateurs, mais aussi un géomètre, qui intervient ponctuellement, un dessinateur, en charge des plans, et puis ce jour-là, bien que non directement affiliée au cimetière de Montmartre, nous avons croisé une équipe de la LPO (Ligue pour la Protection des Oiseaux), qui vient régulièrement effectuer des relevés. L’occasion d’aborder la question de la faune et de la flore avec nos hôtes. Côté faune, outre les fouines qui paradent entre les tombes, pas de présence remarquable à signaler. Du moins pour l’instant. Côté flore, cette « ville dans la ville », connaît un regain de verdure depuis 2015, année sonnant le glas – pour la Ville de Paris avant le reste de la France – des produits phytosanitaires.
Une seconde ouverture Rue Ganneron
Pour que le cimetière de Montmartre devienne, en plus d'un lieu de recueillement et de balade, un lieu de passage, la Mairie du 18e désirait ajouter à la porte de l'Avenue Rachel une seconde ouverture. C'est chose faite depuis 2022, grâce à l'entrée de la rue Ganneron !
L’anémone et le myosotis fleurissent, les arbres tricotent leur canopée, l’herbe revit ça et là, attirant une faune qui n’attendait qu’un peu de nature pour poser ses valises. La biodiversité, qui a ainsi repris ses droits, habille et habite désormais les allées et les sépultures du cimetière qui, grâce au classement, promet de rester fidèle à lui-même. Et plus encore, comme prend soin de nous le préciser Arnaud Schoonheere : « Le classement du site amène à éviter la banalisation du paysage funéraire, mais aussi peut-être, à adopter une démarche plus écologique. Si on arrête de faire venir le granit de très loin pour mieux préserver le site existant, alors on en revient à une économie plus locale et plus vertueuse. » Une remarque intervenue alors que nous prenions de la hauteur, pour observer la partie basse du cimetière, surplombée d’allées construites en terrasses. Chapelles, arbres en fleur, sépulture grises ou colorées, oiseaux, promeneurs… C’est qu’il y a de la vie, dans nos précieux cimetières.